Oui, mais pour autant ça n'est pas simple. Car durant tout le processus du "burn" (qui peut durer des mois voire des années) la victime est généralement dans une ignorance ou un déni de sa maladie qui progresse (avec un ensemble de symptômes qui changent). Elle n'associe pas les pièces du puzzle qui pourraient lui indiquer la progression de sa maladie. Dans mon cas, pendant les mois qui ont précédé mon burn-out, je ne cherchais pas à relier les signes physiques (insomnies, maux de dos), avec une très forte irritabilité et un cynisme grandissant. Je les analysais séparément en leur trouvant à chaque fois une justification. Je mettais mes insomnies sur le dos de mes nombreux voyages trans-continentaux, mes maux de dos sur l'âge et mon irritabilité sur le compte d'une situation professionnelle qui finirait par s'arranger; quant au cynisme grandissant -pourtant bien présent- je n'ai été capable de le reconnaître que bien plus tard en thérapie.
Les médecins généralistes pourraient jouer un rôle de lanceurs d'alerte, s'ils étaient formés pour détecter les signaux avant coureurs de la maladie (les symptômes du 'burn'). On en est hélas bien loin quand on pense que même le stade sévère et 'décompensé' de la maladie (l'effondrement, le 'out' du mot burn-out) n'est pas encore reconnu - ni par l'OMS, ni par les autorités de santé françaises - comme une véritable maladie et ne dispose donc pas encore d'un diagnostic médical clairement validé, alors que bien des experts du sujet l'ont défini. Pour moi, c'est un scandale sanitaire !
Les entreprises sont responsables de protéger la santé physique et psychique de leurs employés. Pour agir - et souvent pour se donner bonne conscience- face à l'explosion des arrêts de travail liés au stress, elles ont mis en place des questionnaires pour mesurer le stress, auto-administrés avant ou pendant la visite chez le médecin du travail. Pour ma part, j'ai passé ce test haut la main, sans alerte, quelques semaines avant de m'effondrer en burn-out. Un questionnaire auto-administré n'a aucun sens pour prévenir une pathologie comme le burn-out, où le rapport subjectif au travail est souvent faussé car idéalisé. Il est primordial de reconnaître l'existence d'un déni parfois puissant chez la victime, ce qui ne facilite pas la prévention. Ce sujet agace parfois certains experts du burn-out qui refusent de reconnaître l'existence d'un 'profil à risque' pour le burn-out sous prétexte que ça pourrait ajouter de la peine (faire culpabiliser) à la peine (épuisement professionnel). D'un point de vue psychologique, cette posture de l'autruche, retarde la date d'une véritable guérison. Je développerai cette question dans un prochain article.
En attendant, j'insiste sur ce point. Souvent prisonnière d'un costume de sauveur (je vais sauver mon entreprise), voire de justicier (je sais ce qui est juste pour mes élèves ou pour l'hôpital dans lequel je travaille ... et les autres se trompent), la victime choisit -inconsciemment bien sûr- de se consumer, dans un conflit intra psychique épuisant, plutôt que de jeter le torchon qui brûle et demander de l'aide. Tenir bon jusqu'au bout, car j'ai raison... Le burn-out est la maladie des gens courageux et hyper-investis, certainement pas des fainéants. C'est ce que je constate dans mon cabinet aussi.
Une cliente épuisée vint me voir un jour : elle était très avancée dans son "burn" et très proche du "out", donc du déraillement, de ce moment où le corps reprend le pilotage, court-circuite le mental et met un stop à tout. Et cette femme, cadre sup d'une entreprise du luxe me demanda de l'aider à être plus forte, plus dure, plus résistante; elle sentait qu'elle craquait d'épuisement et me demandait de l'aider à solidifier des digues qui ne tenaient plus. Quand je lui proposai qu'elle en avait peut-être déjà trop fait et que son corps lui demandait plutôt du repos pour récupérer, elle n'entendit pas. Comme ces sportifs à bout, ne respectant plus leurs limites, et qui au bord de l'épuisement ou du KO fatal, plutôt que de s'arrêter vont demander à leur coach des 'amphétamines' pour pousser à l'extrême la performance. Prise dans cet engrenage, cette cliente n'est jamais revenue, car elle ne pouvait entendre ni encore moins accepter la forme d'aide que je lui proposais. Le coach en moi ne pouvait pas accepter un objectif d'accompagnement qui n'était pas écologique pour la cliente, cliente qui par ailleurs ne voulait pas entendre parler de psychothérapie.
La prévention n'est donc pas si simple.
La prévention est selon l’OMS (l'Organisation Mondiale de la Santé), « l’ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps ». Sont classiquement distinguées, la prévention primaire qui agit en amont de la maladie (ex : action sur les facteurs de risque), la prévention secondaire qui agit à un stade précoce de son évolution (dépistages), et la prévention tertiaire qui agit sur les complications et les risques de récidive. Je reprends l'excellent travail qu'a fait Michel DELBROUCK ("Comment traiter le burn-out") pour adapter cette grille de lecture au dépistage spécifique du burn-out.
P1 = Prévention primaire = empêcher la survenance du burn-out « Je vais bien et je veux me prévenir du burn-out » P2 = Prévention secondaire = empêcher l’aggravation chez des personnes atteintes à un stade faible « J’ai des symptômes d’épuisement et je veux éviter le burn-out » P3 = Prévention tertiaire = prise en charge et traitement de personnes en burn-out sévère « Je suis en plein burn-out et je veux m’en sortir » Je vais être très sincère avec vous : l'essentiel de la clientèle en cabinet est dèjà en P3, c'est-à-dire présentant tous les signes d'un burn-out réel (et donc sévère). Il est encore rare, malheureusement, de voir des personnes présentant un stade faible de 'burn', venir consulter. Et même quand la brûlure (le 'burn') s'intensifiera fortement, nous l'avons vu, la victime restera souvent dans le déni, jusqu'à l'effondrement. Les quelques cas de P2 que je vois, sont des personnes qui viennent me consulter pour un autre motif ou bien sous la pression forte d'un proche. Car dans la réalité ce sont les proches qui vont observer les symptômes du 'burn' en premier.
Les préventions primaire et secondaire du burn-out sont un véritable enjeu de santé publique et de responsabilisation du monde du travail. Former notamment l'encadrement et les équipes de Ressources Humaines, à détecter les premiers signes et à mieux identifier en amont les profils à risque et agir en conséquence, vont être l'axe prioritaire pour enrayer cette pathologie de notre civilisation. Je crois aussi que le meilleur cadeau qu'on puisse se faire à soi-même est de mieux se connaître via une psychothérapie ou un coaching. Faire par exemple que les qualités d'engagement, de sensibilité et de passion pour notre métier ne deviennent pas notre talon d'Achille, notamment en apprenant à fixer nos propres limites. Je reviendrai sur ce point dans un prochain article. Hâte d'échanger avec vous et désireux d'avoir vos commentaires.
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