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  • Photo du rédacteurMichel Tanguy

Les deux rives du burn-out : 1ère partie- la rive rouge.

Dernière mise à jour : 1 mai 2022



A la veille de ses 50 ans, l'homme se retrouva échoué sur la rive rouge de l'existence. Fracassé, désorienté, annihilé. Il n'aurait jamais cru visiter cette rive. Nous sommes en 2014. La rive rouge est peuplée de "burnies" ou "burnoutés", victimes, comme lui, d'une civilisation où l'accélération incontrôlée du système finit par faire sortir de ses rails des millions de travailleurs, qui non seulement perdent foi en leur travail mais aussi dans la vie. Ce sont des travailleurs courageux, surinvestis, dont l'erreur a été d'idéaliser leur métier et de se croire sans limites. L'homme amplifié, invincible qui sait allumer la croissance, éteindre les feux partout, qui sait faire 'toujours plus avec toujours moins' d'équipes, de ressources, de temps... ne serait-il qu'un mirage ? Cette rive abandonne ses victimes épuisées, vidées de leur énergie vitale, à se débrouiller elles-mêmes pour se relever. En sont-elles encore capables ? Rive rouge de l'épuisement.

Parcours du combattant pour trouver un médecin généraliste qui sache diagnostiquer correctement, rassurer et éloigner l'homme de son travail pour qu'il se repose ; puis chercher un psychiatre disponible dans l'urgence -car il y a urgence- et qui va accompagner sur la durée ce patient, avec les bons mots, les bons médicaments et un renouvellement systématique des arrêts maladie pour permettre une récupération qui mettra des mois.

Parcours du combattant pour découvrir seul, qu'il existe quelques associations de souffrance au travail qui peuvent accueillir, orienter bénévolement ; des associations de patients trop rares, qui disparaissent faute de moyens ; quelques médecins du travail empathiques et professionnels. Comment trouver le chemin de la guérison quand chaque jour est un effort pour exister ? Quand chaque pensée positive, chaque geste du quotidien, chaque page d'un livre ou d'un magazine à feuilleter, réclament une énergie surhumaine. Quand la boule au ventre est là, que l'arrêt maladie ne sera pas renouvelé tout en culpabilisant nuit et jour d'avoir abandonné le navire et avec lui, les équipes à bord. Quand la vie sentimentale, familiale bascule au même moment, parce que l'être aimé ne reconnaît plus l'homme qu'il a tant admiré et décide de partir. Rive rouge de la détresse et de l'abandon.

Après de longues semaines, voire de longs mois, les médecins décident que l'homme est prêt à reprendre le travail ; l'homme lui-même, n'a plus de montées d'angoisse insupportables à l'idée de retourner là où tout s'est arrêté un jour si brutalement, un nouveau départ arrive. Ce nouveau départ qui devrait être un sentiment de renaissance, de renouer les liens avec des camarades, de puiser du sens dans un travail qui permet de contribuer à la société, se révèle rapidement une prison destructrice.

Même le système de santé français, pourtant si réputé, a echoué à comprendre cette maladie. Sans doute parce qu'il n'y a pas de médicament à inventer pour la guérir, mais plutôt une coordination pluridisciplinaire à concevoir autour d'une triple prescription essentielle : repos- psychothérapie- coaching pour s'inventer une nouvelle hygiène de vie. Les autres pays ne sont guère plus avancés. Le monde du travail a échoué lui aussi. Préférant fermer les yeux face à l'absurdité de son organisation "moderne", déshumanisée, qui détruit le sens et la valeur du travail bien fait, au profit d'un cours de bourse rattaché à des indicateurs obscènes de profits à court terme et de valeurs des dividendes à redistribuer aux actionnaires. L'ironie pour l'homme de s'entendre dire par un médecin de la Sécurité Sociale qu'il souffrait d'un trouble de l'adaptation après plus d'un quart de siècle d'engagement et de réussites incontestables dans son entreprise, entreprise qu'il avait tant aimée, en laquelle il avait cru !

Au lieu d'être accueilli à son retour dans son entreprise comme un blessé de guerre victorieux, celui qui s'était relevé de cette maladie qui ne frappe que les Dédiés et les Courageux, l'homme se sentit plutôt accueilli comme un lépreux : suscitant de la honte ou du mépris chez certains collègues qui l'avaient imaginé "plus fort que ça", ou de la peur chez d'autres, voyant en lui un miroir possible de leur propre vie épuisée et de leur avenir dans l'entreprise. Sans parler de quelques dirigeants qui soupçonnaient carrément l'homme de feindre sa maladie pour se la couler douce ou pour mieux négocier un départ... Les bons mots, les bons gestes restèrent exceptionnels dans ce monde du travail empêtré dans le déni. Il parait plus simple de dire que l'homme a souffert d'une dépression qui est d'ordre privé, que d'assumer la responsabilité d'un mal qui fâche : le burn-out, cette dépression si particulière due à l'épuisement professionnel.

Sur cette rive rouge, on retrouve les victimes de la plupart des nations du monde occidental. La cour des blessés, des diminués, aux blessures narcissiques si apparentes mais en même temps si béantes, que personne ne semble savoir les panser. Ceux à qui on dit à leur retour au travail, qu'ils ne seront plus jamais tout à fait comme avant : travail au 3/5e puis 4/5e du temps s'ils sont chanceux, souvent dans des périmètres d'activités réduits, avec moins de responsabilité. Car c'est bien connu : moins de responsabilité signifie moins de stress. Rive de l'ignorance. L'homme condamné à être un homme diminué. Rive des déçus du système.

La rechute pointe alors son nez immanquablement... Avec le risque de s'enliser comme dans un deuil pathologique. L'homme sentait "l'ombre de son entreprise tomber sur lui", comme un marquage à chaud, une empreinte toxique, indélébile, à laquelle il risquait de s'identifier à tout jamais. Dans l'impossibilité de mettre des mots sur ce qu'il avait perdu, car ce qu'il avait perdu ce n'était pas qu'un métier, qu'une entreprise, qu'un statut professionnel, que des collègues ou des amis... ce qu'il avait perdu c'était Lui tout entier !

Du bord de sa rive, l'homme scruta l'horizon et il lui sembla percevoir une seconde rive, très lointaine, de couleur bleue ...

(A suivre)





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